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Travailleuses indochinoises dans les plantations calédoniennes
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, après le boom du nickel de 1873, les colons de Nouvelle-Calédonie ont besoin de main d’œuvre. Faire travailler les canaques ayant toujours été compliqué, on a commencé à faire venir des travailleurs Néo-Hébridais, des Salomonais, ainsi que des Hindous, des Réunionnais. Puis c’est vers l’Asie proche et surpeuplée que les employeurs calédoniens vont se tourner. Ils firent d’abord venir des Chinois, via la Société Le Nickel, mais ceux-là n’ont pas été nombreux à vouloir s’installer en Nouvelle-Calédonie. Puis des Japonais, et enfin, des Javanais et Indochinois…
C’est le 12 mars 1891, que débarque du Chéribon (c’est pas un n’avion !! C’est un bateau), en provenance de Hai Phong, le premier contingent de 791 travailleurs indochinois (dont une cinquantaine de femmes) à Nouméa. Ce sont eux que l’on appelle, les premiers Chân Dang. « Chân Dang » signifiait « Pied engagé » et nous comprendrons plus tard pourquoi certains lui ont donné comme autre signification « Pied enchaîné »…
Après une arrivée plutôt houleuse, les passagers se plaignent tous de n’avoir jamais pu manger à leur faim et d’avoir passé des journées entières de navigation dans des conditions d’hygiène déplorable. Une fois débarqués, ils furent immédiatement transférés sur l’îlot Freycinet pour y subir une quarantaine : amaigris, faméliques, ils avaient contracté de nombreux cas de béri-béri, suite à une nourriture insuffisante et rationnée à l’extrême, à bord du navire. La quarantaine terminée, c’était la répartition du travail…
travailleurs Tonkinois dans les mines de nickel
Les Nouméens découvrirent le chapeau conique et le fameux deux-pièces traditionnel : le pantalon bouffant noir et la blouse marron des Indochinoises.
Dès 1895, des milliers de « travailleurs immigrés » (ou « coolies ») Javanais et Indochinois (on disait aussi « Tonkinois ») arrivèrent dans la colonie, dont une partie finira par se fixer définitivement sur le Territoire.
En ce qui concerne les Indochinois, chaque engagé sous contrat devait être officiellement immatriculé. Dès lors on ne les appelait plus que par leurs numéros, « c’était plus commode », disait-on, car leurs noms semblaient trop compliqués à retenir…
Livret individuel de travailleur
Leurs conditions de vie et de travail étaient très souvent déplorables en Nouvelle-Calédonie. La répartition des travailleurs donnait aussi souvent lieu à une séparation arbitraire des épouses de leurs maris, et ce, durant les 5 années de leur contrat. Les hommes, livrés aux mains des chefs de chantiers ou de contremaîtres autoritaires et brutaux, étaient souvent traités de manière inhumaine. Les coups de pied, de poing ou de nerf de bœuf tombaient sans cesse. La prison, les sévices corporels ou les suppressions de salaire, étaient le lot de ceux qui esquissaient le moindre mouvement de révolte.
La journée de travail commençait à 5 heures du matin pour se terminer après la tombée de la nuit, sans manger, ni boire, ni fumer. La nourriture distribuée au moment des repas était constituée soit de pain rassis, soit d’une boule de riz mal cuite, trempée dans de l’eau de mer. Alors que la plupart des accidents de travail étaient l’écrasement d’un ou de plusieurs doigts de la main droite, d’où amputation, il semblerait que ces accidents aient été délibérés dans le but d’obtenir quelques jours, voire quelques semaines réparateurs. Mais à 10 000 km de leur pays d’origine, bien que mal traités, mal nourris et mal payés, ce modeste pécule gagné était une aubaine à côté de la misère qu’ils vivaient en Indochine.
Ne parlant pas le français pour la majorité et souvent très frustres de nature, subissant une sorte de ségrégation raciale, ces hommes et ces femmes ont longtemps vécu en marge de la société calédonienne.
L’année 1929 fut une année faste de l’immigration indochinoise vers la Nouvelle-Calédonie, puisque l’on a pu recenser plus de 6 400 travailleurs sur l’île.
La grande dépression mondiale s’abattant sur la Nouvelle-Calédonie, on arrêta, dès 1932, ces importations de travailleurs tonkinois jusqu’à 1937, époque d’une grande « course aux armements ». L’ultime voyage eut lieu en 1939, alors que la seconde guerre mondiale éclatait. À cette époque, il fut réglementé que tout immigré de couleur, ainsi que les autochtones calédoniens n’auraient le droit à aucun rassemblement ou stationnement nocturne dans la capitale, après 22 heures, puis, plus tard, après 20 heures. Ils n’auraient pas droit non plus de séjourner plus de 3 jours à Nouméa.
Travailleurs dans une mine de chrome en 1940
À l’arrivée de la seconde guerre mondiale, les troupes US débarquèrent en Nouvelle-Calédonie et procédèrent immédiatement à l’arrestation des Japonais (environ 1 400) installés dans l’île qui furent internés à Nouville, avant d’être transférés en camps en Australie.
Les Chân Dang se mirent, pour la plupart, à leur compte, dans la restauration (avec des plats typiques comme les Nems et les Porcs sucrés), dans le repassage, le blanchissage des tenues des troupes américaines, d’autres encore, transformèrent les alliages et métaux récupérés sur les carcasses d’avions mis hors de combat, en ustensiles ménagers. Beaucoup prirent une patente pour exercer.
Vendeuses de souvenirs pour clientèle américaine
En 1944, la Conférence de Brazzaville permit à 139 tonkinois d’obtenir le statut de « résidents libres » en Nouvelle-Calédonie (« mêmes droits, mêmes devoirs pour tous »…).
Après la guerre mondiale, c’est celle d’Indochine qui suivit. Bien qu’éloignée, la communauté indochinoise créa d’un côté des émules des Viet Minh (encouragés par le Parti Communiste Calédonien qui militait pour leurs droits) et d’un autre une sorte de paranoïa autour du « Péril Jaune » de la part de la population calédonienne qui voyait d’un mauvais œil ces « Diables Jaunes » monopoliser le commerce local et leurs enfants gravir les premiers rangs de leurs classes. Des campagnes anti-viêt se lancèrent, entre 1956 et 1958, avec des slogans comme « N’achetez plus aux Indochinois. Achetez aux commerçants français ! » ou « Acheter chez un Vietnamien, c’est trahir la France ! ». Puis un groupuscule, le C.D.I.C. (Comité de Défense des Intérêts Calédoniens) lança des actions violentes avec des slogans comme « Viêt dehors ! », « Viêt partez ! ». Sujet difficile pour les « Niaoulis » qui (comme pour les Javanais) sont les enfants vietnamiens, nés en Nouvelle-Calédonie et qui ne connaissaient rien du pays d’origine de leurs parents. Un grand nombre d’entre eux décidèrent de quitter la Calédonie à cause de l’hostilité ambiante…Et comme beaucoup de travailleurs manquaient, les entreprises calédoniennes firent venir de la main d’œuvre wallisienne, futunienne, tahitienne (mais ceci, ce sera une autre histoire pour le Cri du Cagou…).
Rapatriements en 1964
Un recensement de 1976 dénombrait encore 1 535 Vietnamiens vivant en Calédonie, mais des analyses de Bernard Brou démontrent qu’avec le métissage (Eurasiens etc…), leur nombre peut atteindre environ 8 000 personnes : une communauté qui se fond de plus en plus dans la Calédonie d’aujourd’hui, et celle de demain, celle aux mille visages…
réunion de résidents libres dans la “Maison Commune” de la Vallee des Colons.
Sources (Infos & Photos) :
-Jean VanMaï, “Centenaire de la présence vietnamienne en Nouvelle-Calédonie (Centre Territorial de Recherche et de Documentation Pédagogique).
-Bernard Brou, “Peuplement et population de la Nouvelle-Calédonie” (Société d’Etudes Historiques de la Nouvelle-Calédonie).
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